Une forme plus subtile de l’utilisation des instruments mécaniques est leur usage comme véhicule des messages politiques ou sociaux, soit par leur décor particulier, soit par leur répertoire original. Mais par un curieux effet de miroir, les caricaturistes utilisent l’image de l’orgue et de ses sous-entendus pour combattre l’establishment, se moquer des puissants, ridiculiser les cibles de choix que sont les ministres de la république, les hommes d’états des pays adverses, les mœurs contestables de quelques congénères.
Depuis longtemps les meneurs d’opinion connaissent la puissance des mots et les hommes politiques de tous temps ont usé de la répétition et de la méthode Coué.
Ainsi Benjamin Franklin répondait systématiquement à ces interlocuteurs qui s’inquiétait de la tournure que prenaient les évènements dans les anciennes colonies britanniques : Ah ! ça ira… ça ira.
Quand les chansonniers parisiens voulurent se moquer des difficultés que rencontraient les nouveaux responsables lors du premier anniversaire de la prise de la Bastille, le texte de la chanson était tout trouvé. Un cylindre d’orgue propagea le tout et la puissance évocatrice de la formule devint le symbole sanglant de la révolution en marche…
Plus classiquement le décor explicite de certains IMM propage les idées subversives en glorifiant le héros proposé. En Allemagne, à la fin du XVIIIe siècle, nous retrouvons des instruments à cordes frappées comme par exemple ceux d’Andreas Ruth ou d’Ignaz Blasius Bruder. Ces hommes de la Forêt Noire[1] ne se contentent pas des instruments qui ont fait leur réputation, ils s’emparent de l’histoire proche ou mythique et la racontent à travers de splendides pianos à dos. L’illustration de tête montre un tympanon de cette provenance, porté par les musiciens ambulants a aide de sangles dorsales, d’où le nom, certes contestable, de piano à dos.
C’est le cas de ce ruckenklavier[2] condensé de l’épopée napoléonienne. Mécanisme à transformations, la saynète qui surmonte le cylindre-mémoire déroule la vie du héros, depuis sa victoire à Arcole, son sacre, la bataille d’Austerlitz, jusqu’à sa mise au tombeau et sa renaissance. Rappel de l’homme-fort, appel à la providence, allusion christique… Le message politique est clair : à mots couverts –la scène automate décrite plus haut se couvre d’un couvercle à serrure- pour ranimer si besoin est la légende pendant la Restauration, rassembler les fidèles et signe de ralliement des partisans, le musicien agitateur magnifie le souvenir et favorise les tenant d’un retour à un nouvel ordre impérial. Le point culminant est atteint lors du retour des cendres de l’Empereur.
Certains messages sont plus subliminaux. Ce tympanon mécanique à cylindre d'Ignaz Bruder vers 1820, était porté à l’aide de sangles dorsales. Il se devait d’être aussi attractif, d’où la présence des trois automates. La coutume veut que le personnage central, richement habillé et qui impose la cadence par son coup de timbre, représente les Turcs sous la domination desquels vivait l’Italie non encore unifiée politiquement. A droite, le violoniste, homme de culture et de savoir serait le Vénitien ; tandis qu’à gauche, le Napolitain n’aurait pas la connaissance ni les moyens de jouer d'un instrument et se contenterait de taper du pied et des mains...
Si on ne possède pas la clef de décryptage, le message politique n’apparait pas immédiatement, mais laisse une empreinte dans les esprits. Un peu comme les acclamations du peuple italien qui, plus tard, en saluant Giuseppe Verdi prenaient contre les Autrichiens, mais sans risques le parti de Victor Emmanuel Rei De Italia…
[1] Faut-il rappeler que dans ces régions tout à tour françaises et allemandes, suivant l’avance des armées, les populations sont très politisées,
[2] Piano à dos, tympanon mécanique.