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Araktcheiev et Alexandre de Russie

 

Est-ce une crise de mysticisme, un acte de contrition, un gage de fidélité par delà la mort, une preuve toute slave de l’amitié, voire le rappel d’une des énigmes les plus secrètes du XIXe siècle, mais la pendule à jeu d’orgue dont il est question maintenant est l’une des plus émouvantes commémorations qu’il nous ait été donné d’étudier.

 

arakcheiev pendule

 

En 1826, l’entourage d’Alexij Andreïevitch Araktcheiev[1] sollicite le facteur d’orgues parisien Davrainville et lui demande de participer à la réalisation d’une pendule[2] à la mémoire d’Alexandre Ier Pavlovitch[3]. Parmi les obligations du cahier des charges, deux particularités intriguent :

  • le jeu de flûtes déclenché par le mécanisme automate, joue chaque jour uniquement à 10 heures 50 ;
  • résonne alors une invocation funèbre en sol mineur répétée trois fois « Mémoire Éternelle», se terminant par des accords déchirants de septième diminuée. La mélodie dure une vingtaine de secondes ce qui est très inférieur aux possibilités habituelles des cylindres pointés de la firme parisienne.

 

La pendule, en bronze doré au mercure[4], représente un mausolée surmonté du buste du Tsar défunt encadrée par un trophée, allusion à la victoire de Waterloo, et par la statue voilée de deuil du commanditaire éploré, en patine noire. Sous le cadran, s’ouvrent deux vantaux cachant une médaille et l’inscription suivante :

 

Araktcheiev et Alexandre de Russie inscription

 

Cela cèlerait-il le mystère de la disparition d’Alexandre 1er.

Se sentant sinon coupable, au moins responsable de la mort du Tsar Paul 1er, son père, étranglé lors de la révolution de palais du 23 mars 1801, cet  être double, déchiré entre la passion de sa grand-mère Catherine II et la haine que celle-ci entretenait à l'égard de son père, condamné à ne jamais pouvoir être lui-même, ce souverain vainqueur de Napoléon, adoré des femmes, capable de troubler certains hommes par son charme ambigu, harcelé par sa puissance et son prestige, s'est réfugié dans un autre lui-même, mystique, en attente de Dieu - qui sait pour faire pénitence et racheter sa culpabilité dans l'assassinat de son père - où curieusement, ayant séduit tout son univers, il attendait encore le triomphe de son âme.[5]

 

Les crises de religiosité de l’empereur –en 1814, il adhère à la Société Biblique, sous l'influence de la baronne von Krüdener ; puis quelques mois avant sa mort, n’a-t-il pas envoyer son aide de camp informer le pape Léon XII de son désir d'abjurer l'Orthodoxie et de ramener la Russie au sein de l'Église catholique romaine- expliquent-t-elles son étrange disparition sur une base militaire à Taganrog au bord de la mer d'Azov, à 10 heures 50, le 1er décembre 1825[6].

 

Dès l'annonce de sa mort, des doutes naissent, car de nombreuses personnes, défilant devant sa dépouille, ne le reconnaissent pas. Le tsar aurait-il simulé sa mort tandis qu'on (son confident Araktcheiev ?) lui substituait le corps d'un soldat vaguement ressemblant.

Quelques années plus tard, un ermite du nom de Fiodor Kouzmitch fut reconnu par de nombreuses personnes comme étant le Tsar défunt : arrêté, fouetté puis déporté en Sibérie, il devint staretz[7] et mourut le 20 janvier 1864 à Tomsk, en Sibérie. Que Kouzmitch et Alexandre Ier soient une seule et même personne, est aujourd'hui admis par certains historiens et par la famille Romanov. Ceux-ci affirment qu'Alexandre se serait volontairement retiré du monde, ne supportant plus le poids de sa responsabilité dans le régicide, doublé de parricide auxquels il devait son accession au trône. Un élément troublant conforte cette hypothèse : lorsque Alexandre III fit ouvrir le tombeau de Saint Petersburg, afin de vérifier le bien-fondé des rumeurs de survie, le cercueil fut découvert vide...[8].

 

Araktcheïev qui a gravi les échelons militaires sous Paul 1er, est de tous les ukases.  Tout au long de sa carrière, il obéit aveuglément au tsar et exécute les tâches les plus diverses -projet d’une charte d'affranchissement progressif des serfs ; réforme militaire judicieuse pendant les guerres napoléoniennes ; création d’une zone stratégique regroupant en colonies un tiers des effectifs de l’Armée. Lui qui était connu pour sa cruauté, son nom devenant même synonyme de despotisme, répondait à ses interlocuteurs : Je suis l'ami du tsar et les plaintes à mon sujet ne peuvent être adressées qu'à Dieu.

Cet homme qui fait pendre les chats pour sauvegarder les rossignols dont il était passionné, qui édifie sur son domaine une église, a-t-il respecté la volonté de son seigneur en organisant son évasion du monde politique.

Toujours est-il que le comte perdit sa position, fût démis de ses fonctions, renvoyé de la Cour et exilé sur ses terres.

 

La funèbre cantilène se devait de lui rappeler les temps passés…

 

 

icone plan InPixio 

[1] Алексей Андреевич Аракчеев, né en 1769, † en 1834. L’un des plus proches collaborateurs du Tsar, ministre de la Guerre, administrateur des colonies militaires. Après la chute de son rival Golitsyn, en 1820 il reste l’homme le plus puissant de Russie.

[2] Datée de 1826, elle porte le N° 402.

[3] Александр Благословенный - Aleksandr Blagoslovénnyi (Alexandre le béni), né Александр Павлович - Aleksandr Pavlovitch né à Saint-Pétersbourg, le 23 décembre 1777 – † à Taganrog le 1er décembre 1825 ; tsar de Russie à la mort de son père Paul 1er en 1801.

[4] Cet ouvrage est la conjonction des talents de plusieurs artistes russes et français : P.V. Le dur et G.-G.-M. Guvé (architectes) ; Lamy et A. E. Yegorov (peintres) G.-A. Kouriguer (sculpteur) ; Davrenville, sic !  (mécanicien) ; Guémon (horloger).

Extrait du catalogue de l’exposition Paris-Saint Pétersbourg, 1800-1830, Quand la Russie parlait français... Hôtel des Invalides, 2003, p. 194.

[5] Paul Mourousy, Alexandre 1er, tsar de Russie, Editions du Rocher, Paris, 1999.

[6] En fait le 19 Novembre 1825 selon le calendrier Julien, toujours en vigueur en Russie.

[7] Стáрец, maître spirituel charismatique orthodoxe.

[8] Lire à ce propos : Maurice Paléologue, Alexandre Ier, un tsar énigmatique, Paris. 1937.

 

 

 

 

 

 

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